Evaluation du risque de chutes

Les graves conséquences des chutes aussi bien sur le plan individuel que collectif (dépenses de santé) justifient que soit mis en place un repérage systématique du risque de chute dans la population âgée. Les outils de dépistage doivent être adaptés à une pratique clinique quotidienne. Le médecin généraliste étant le premier médecin consulté par les personnes âgées vivant à domicile, son rôle est central pour repérer les personnes à risque de chute et les conseiller en fonction de leur profil de risque.

La suite du document propose :

  • Le repérage des personnes âgées à risque de chute (outils)
  • L’évaluation instrumentale de la marche et de l’équilibre
  • Les recommandations actuelles en matière d’évaluation du risque de chute

 

Le repérage des personnes âgées à risque de chute

Selon les recommandations publiées par l’INSERM en 2015, quatre approches sont possibles pour apprécier le risque de chute chez un sujet âgé :

  • L’interrogatoire du patient sur ses antécédents de chute
  • Les outils de repérage monotâche (une seule épreuve)  
  • Les outils de repérage multitâches
  • Les approches multidimensionnelles avec des outils composites et un repérage des principaux facteurs de risque  

En pratique courante, selon les mêmes recommandations de l’INSERM, le repérage des personnes âgées à risque peut reposer sur la recherche d’antécédents de chute et sur la réalisation d’un test fonctionnel simple comme le Timed Up and Go

 

L’interrogatoire du patient âgé

Il repose sur deux questions simples à poser systématiquement en consultation :

  • Etesvous déjà tombé(e) ?
  • Etesvous déjà tombé(e) dans l’année ou dans les derniers six mois ?

Les limites de cette première approche sont doubles : certaines personnes peuvent ne pas se souvenir de leurs chutes et ces questions ne permettent pas de repérer des personnes qui n’ont jamais chuté mais qui ont des risques de chute.  

 

Les outils de repérage mono-tâche 

La qualité des tests de repérage repose sur leur sensibilité (capacité à identifier les personnes qui ont un risque de chute), leur spécificité (capacité à identifier les personnes qui n’ont pas de risque) et leur reproductibilité.

  • Test de la station unipodale.  Le test d’équilibre en appui unipodal consiste à demander au sujet de tenir le plus longtemps possible en station unipodale (en équilibre sur une jambe), sur la jambe de son choix. Il est considéré comme anormal si la personne âgée ne réussit pas à tenir sur une jambe au moins 5 secondes : un temps inférieur à 5 secondes est prédictif d’un très haut risque de chute ; un temps supérieur à 30 secondes est prédictif d’un risque très faible de chute. La sensibilité est de 37 %, la spécificité de 76 %. C’est l’un des tests les mieux validés et les plus simples d’utilisation. 

 

  • Le test du « lever de chaise ». Ce test mesure la force musculaire, la diminution de la force musculaire étant associée au risque de chute. Le temps nécessaire au patient pour se lever cinq fois de suite sans s’appuyer à partir d’une chaise sans accoudoirs est enregistré par un chronomètre. Le seuil habituellement considéré comme normal se situe entre 11 et 15 secondes. Le test est prédictif de nouvelles chutes avec une sensibilité et une spécificité de l’ordre de 60 %.  Limite : ce test ne peut être réalisé chez des sujets âgés très limités sur le plan fonctionnel.

 

  • Le test de poussée sternale

Les personnes âgées présentent des altérations des anticipations posturales qui se manifestent par des effets déséquilibrants majorés au cours du mouvement. Un déséquilibre à la poussée (3 poussées sternales légères avec la paume sur un patient debout avec les pieds aussi rapprochés que possible) est prédictif du risque de chute. La sensibilité est de 38 %, la spécificité de 94 %. Une variante, le test de Weiner, consiste à compter le nombre de pas effectués en arrière sous l’effet d’une poussée sternale (une légère poussée au niveau du sternum est faite alors que le sujet est debout). 

 

  • Le « Functional Reach test » évalue l’équilibre lors d’une tache de pointage (Duncan, 1990). Le sujet, debout le long d’un mur, bras étendus vers l’avant avance le tronc le plus loin possible sans perdre l’équilibre. L’observateur note la distance parcourue par l’extrémité du 3e doigt le long d’une baguette horizontale graduée placée à hauteur de l’acromion. Le score est la moyenne des valeurs sur 3 essais. Ce test, simple à réaliser, a une bonne reproductibilité. Cependant, les études sont discordantes sur sa capacité à mesurer le risque de chute.

  • Le test du « tour à 180 » Ce test proposé par Simpson et coll. (2002), consiste à compter le nombre de pas faits par le patient pour effectuer une rotation de 180 °. Le seuil considéré pour définir la norme est de 4 pas.

 

  • La vitesse de marche. Elle serait prédictive de chute en deçà de 0,8m/s

 

 

Les outils de repérage multitâches

  • Le test Timed Up and Go

Le test Timed Up and Go est un test simple à réaliser en consultation : le sujet assis sur une chaise doit se lever, marcher 3 mètres devant lui, retourner vers sa chaise et s'asseoir. La passation du test prend 1 à 2 minutes et nécessite d’avoir un chronomètre. Il faut faire 3 tests successifs précédés d’un test d’apprentissage, non comptabilisé. 

Le score est donné par le temps en secondes. Le test est normal si le temps est inférieur à 14 secondes (20 secondes selon certaines publications). Le Timed Up and Go a une bonne reproductibilité dans le temps et entre observateurs. La sensibilité est de 87 %, la spécificité de 87 %. Ce test a été validé auprès de personnes âgées vivant à domicile. 

 

  • Le test Get Up and Go

Le test Get Up and Go est un test rapide et simple à faire passer. Le sujet doit se lever d'un fauteuil avec accoudoirs, marcher sur une distance de 3 mètres, faire demi-tour, revenir vers le fauteuil, en faire le tour et s'asseoir. Les résultats sont exprimés en fonction d'une échelle cotée de 1 à 5 : 1 = aucune instabilité ; 2 = très légèrement anormal (lenteur à l’exécution de la consigne) ; 3 = moyennement anormal (hésitation, mouvement compensateur des membres supérieurs et du tronc) ; 4 = anormal : le patient trébuche ; 5 = très anormal : risque permanent de chute. Un score supérieur ou égal à 3 est prédictif d’un risque important de chute. 

 

  • Le test de Tinetti ou test POMA (Performance Oriented Mobility Assessment)

http://www.sgca.fr/outils/tinetti.pdf

Le test de Tinetti se compose de deux parties : un temps d'étude des anomalies de l’équilibre reposant sur 9 situations posturales et un temps d'étude de la marche. Le score final obtenu est normalement de 28 ; de 24 à 27 le risque de chute est faible ; de 20 à 23 il est élevé ; < 20 le risque de chute est très élevé. Ce test permet d’évaluer avec précision les anomalies de l’équilibre et de la marche du sujet âgé au cours de diverses situations de la vie quotidienne. Il est un peu long à réaliser et demande une bonne participation du sujet.  

 

  • L’échelle d’équilibre de Berg 

L’échelle de Berg (Berg Balance Scale) évalue l’équilibre par l’observation de la performance de 14 mouvements habituels de la vie quotidienne (14 items) : rester assis sans aide d’un dossier ou d’accoudoirs / se lever / se rasseoir / passer d'un siège à un autre / rester debout sans soutien / rester debout, yeux fermés / rester debout, pieds joints / rester debout, les pieds « en tandem » / rester debout sur un seul pied / effectuer une rotation du tronc / ramasser un objet par terre / faire un tour complet sur soi / monter sur un tabouret / se pencher en avant. 

Le système de cotation est une échelle à 5 niveaux : chaque item est noté de 0 (mauvais) à 4 (bon). Le score total est de 56. Un score supérieur ou égal à 45 est prédictif d’un faible risque de chute. https://cnfs.ca/agees/images/documents/2-TEST_berg.pdf

 

  • Le test double-tâche

Le test double tâche ou walking and talking repose sur le principe que, des sujets ayant un risque de chute plus important ont des difficultés, lors de la marche, à instaurer une conversation. L’attention qui leur est nécessaire à poursuivre la conversation leur impose l’arrêt de la marche. La sensibilité est de 48 %, la spécificité de 98 %. Les changements observés pendant l’accomplissement de la double-tache sont significativement associés à un risque de nouvelle chute. La valeur prédictive des épreuves de double-tâche semble meilleure dans les populations fragiles que dans les populations âgées considérées comme vigoureuses.

 

Les approches multidimensionnelles

Ces méthodes reposent sur la recherche des principaux facteurs de risque de chute. Les données probantes sur l’efficacité des évaluations multifactorielles ne sont pas concluantes. Selon le NICE (National Institute for Health and Care Excellence) ce type d’évaluation n’est pas recommandée de façon systématique mais seulement pour les personnes qui ont fait des chutes à répétition au cours de la dernière année, pour celles qui ont des problèmes de marche ou d’équilibre et celles qui requièrent une prise en charge médicale en raison d’une chute (NICE, 2013)

 

  • Falls Risk for Older People in the Community Scale (FROP-Com)

https://www.nari.net.au/files/files/documents/falls_risk_for_older_people_-_community_setting_-_guidelines_-_v10.pdf

Le FROP-Com couvre 13 facteurs de risque via 26 questions (chacune ayant une cotation de 0 à 1 ou 0 à 3, appelée score). La note globale résultant de la somme des scores évalue le risque de chute. Une note élevée indique un risque de chute élevé, la note maximale étant de 60. L’outil présente une bonne reproductibilité et une capacité modérée pour prédire les chutes (Russell, 2008 et 2009).   

 

  • Echelle de Chute de Morse 

 http://sante.uottawa.ca/pdf/Evaluation%20du%20risque%20de%20chutes.pdf

L’échelle de Morse (Morse Falls Scale) comporte 6 composantes à évaluer qui permettent de prédire 80 % des chutes. La passation dure 3 minutes. 1) Chutes : absence d’antécédent de chute / antécédents de chutes / une chute ou plus pendant le séjour à l’hôpital ou dans les derniers 30 jours avant l’évaluation ; 2) Comorbidités : a des comorbidités / absence de comorbidité ; 3) Marche : sans aide / utilise des béquilles, une canne / besoin d’un appui sur les meubles / utilise un fauteuil roulant / reste au lit ; 4) n’a pas de perfusion / a une perfusion ; 5) démarche : tête droite, bras se balançant librement de chaque côté du corps, marche avec confiance / petit pas, pieds qui trainent, posture penchée en avant mais capable de redresser la tête sans perdre l’équilibre, appui léger sur les meubles pour réassurance / difficulté à se lever, tête penchée et regard dirigé vers le plancher, mauvais équilibre, appui sur les meubles nécessaire pour garder son équilibre, ne peut marcher sans assistance ; 6) État mental : connaît ses capacités de mobilité / surestime ses capacités. 

 

 

Evaluation instrumentale de la marche et de l’équilibre

Les mesures quantifiées et objectives de performances issues de méthodes instrumentales sont coûteuses et principalement utilisées dans le cadre de la recherche, mais elles trouvent également leur utilité en pratique courante, principalement comme aide au diagnostic étiologique ou différentiel. Les techniques les plus utilisées sont l’évaluation à partir de systèmes d’analyse quantifiée de la marche (par exemple, couplant système optoélectronique, électromyographique, vidéo et plateformes de force), de loco mètres, d’accéléromètres/gyroscopes ou encore de plateformes de stabilométrie.  

Différents paramètres spatiotemporels de la marche ont été identifiés comme des facteurs prédictifs du risque de chute (par exemple, une réduction de la vitesse ou encore une augmentation de la largeur du pas et de la durée de la phase de double appui). Une variabilité de la marche augmentée est également reconnue comme un facteur de risque de chute. L’analyse de la marche sous condition de double tâche peut apporter une réelle plus-value dans l’identification des patients à risque (Hars, 2013). 

 

Les recommandations des autorités sanitaires et des sociétés savantes

La sensibilité et la spécificité des tests restent globalement faibles au sein d’une population gériatrique hétérogène et souvent fragile. Même si la littérature ne permet pas de définir l’outil le plus performant pour repérer les sujets à haut risque de chute, les recommandations des sociétés savantes, en France, comme à l’étranger, sont relativement consensuelles. 

 

Tableau résumé des recommandations 

 

Recherche des antécédents de chute

Evaluation du risque

Recherche des facteurs de risque de chute

Autres

HAS

2005 et 2009

 Oui

systématique

Un des tests parmi :

 

Test Timed Up and Go (anormal si >20s)

Test d’appui unipodal

Test de poussée sternale

Walking and Talking test

Recherche systématique Age>80 ans

Sexe féminin

Troubles psychiatriques

Polymédication

Troubles urinaires

Troubles locomoteurs ou neuromusculaires

Réduction de l’acuité visuelle

Alcool, sédentarité, malnutrition, habitat mal adapté

 si chutes à répétition : recherche de signes de gravité *

 

et

recherche de facteurs prédictifs de récidive de la chute **

INPES 2005

 Oui, systématique

Test Timed Up and Go

Si le risque de chute est élevé (ATCD de chute et test >14s)

Voir arbre de décision plus loin

 

SSMG*** 2008

 

Recommandation si antécédent de chute

Test Up and Go (sur 5 mètres) 

Évaluation de la marche, de l’équilibre, de la mobilité, de la force musculaire

Ostéoporose

Peur de tomber

Troubles visuels

Troubles cognitifs

Incontinence urinaire

Polymédication

Examen cardio vasculaire

Risques environnementaux

 

AGS & BGS 2010-2011****

Oui systématique

1 fois par an si 65 ans et plus

Troubles de la marche et de l’équilibre déclarés

Si chute et/ou trouble de la marche : un des tests

Get Up and Go

Timed Up and Go

Berg Balance scale

POMA

 

 Si plusieurs chutes   :

Troubles cognitifs

Hypotension orthostatique

Acuité visuelle

Troubles neurologiques

Fonction musculaire

Polymédication

Troubles du rythme

Déformation des pieds 

 

USPSTF

*****

2012

 

Si trouble de la marche +65 ans et antécédent de chute -> 

Get Up and Go

 

 

 

 

*Signes de gravité : 

  • un traumatisme physique ayant fait suite à la chute tel qu’une fracture, une luxation, un hématome intracrânien ou périphérique volumineux ; 
  • l’impossibilité de se relever du sol avec un séjour au sol supérieur à une heure ; 
  • des signes d’un syndrome post-chute ou de désadaptation psychomotrice ; 
  • des antécédents de malaise et/ou de perte de connaissance ; 
  • une hypotension orthostatique, des troubles du rythme cardiaque ou de conduction, des séquelles d’accident vasculaire cérébral, une insuffisance cardiaque, un infarctus du myocarde, une hypoglycémie chez une personne diabétique ; 
  • une augmentation récente de la fréquence des chutes ; 
  • un nombre de facteurs de risque de chute ≥ 3 ; 
  • une ostéoporose avérée (définie par un T-score < -2,5 DS à l’ostéodensitométrie et/ou un antécédent de fracture ostéoporotique) ; 
  • la prise de médicaments anticoagulants ; 
  • un isolement social et familial et/ou le fait de vivre seul. 

**Facteurs prédictifs de récidive :

  • nombre de chutes antérieures ; 
  • temps passé au sol supérieur à 3 heures ; 
  • score au test de Tinetti < 20 points ; 
  • exécution du timed Get up and go test > 20 secondes ; 
  • maintien de l‘équilibre en station unipodale < 5 secondes ; 
  • altération des réactions d'adaptation posturales : réactions d'équilibration et réactions parachutes ; 
  • arrêt de la marche lorsque l'examinateur demande au sujet de parler. 

***Société Scientifique de médecine générale belge

****American Geriatrics Society & British Geriatrics Society

*****US Preventive Services Task Force

 

(Source : Inpes 2005)

 

Synthèse thématique :